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La privatisation des radars embarqués, une mesure au service d'une logique de rentabilité

Le 22 octobre 2015, à la suite d’une réunion du Comité interministériel à la Sécurité routière, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls présente une série de 22 nouvelles mesures censées améliorer la sécurité sur les routes, parmi lesquelles celle consistant à « augmenter (…) l’utilisation des radars embarqués dans des véhicules banalisés, en confiant leur mise en œuvre à des prestataires agréés, sous étroit contrôle de l’État. »

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Une mesure visant la rentabilité et non la sécurité

Dès l’annonce de cette mesure, « 40 millions d’automobilistes » s’inquiète des potentielles dérives que pourrait engendrer la sous-traitance des radars embarqués à des sociétés privées. Pour l’association, confier la répression des infractions routières à des salariés rémunérés par des entreprises du secteur privé, elles-mêmes sous contrat avec l’État montre la logique de rentabilité financière dans laquelle s’est inscrite la Sécurité routière, au détriment de la sécurité des usagers de la route. En effet, en l’absence de force de l’ordre dans la voiture, aucun pouvoir d’immobilisation du véhicule en infraction n’existera. Aussi, même si ce véhicule doté d’un système de verbalisation embarqué constate une conduite véritablement dangereuse doublée d’une vitesse excessive, rien ne sera fait, si ce n’est laisser rouler le contrevenant. Les chauffards ne risqueront rien, sinon une amende.

À ce sujet, l’association « 40 millions d’automobilistes » a calculé que la privatisation des voitures-radars pourraient rapporter plus de 2 milliards d’euros à l’État si la mesure était mise en œuvre dans les termes exposés par la Sécurité routière : celle-ci souhaite en effet confier la gestion et la conduite de 440 voitures équipées de radars de vitesse dissimulés dans les plaques d’immatriculation. En tenant compte du fait que chaque véhicule devrait circuler au moins 8 heures par jour et qu’il est capable de flasher, au bas mot, 30 voitures par heure, ce sont plus de 38,5 millions de procès-verbaux qui seront dressés à l’encontre d’usagers de la route. Avec un montant moyen de l’amende à 56,85 €, l’État engrangera près de 2,2 milliards d’euros. À coup sûr, une excellente opération financière… En revanche, il n’existe aucune preuve que cette mesure ait un quelconque effet positif sur la sécurité routière.

Les automobilistes français fermement opposés à la privatisation

Malgré l’hostilité des automobilistes – qui ont été plus de 300 000 à se porter signataires de la pétition en ligne « Non à la privatisation des radars embarqués » lancée par « 40 millions d’automobilistes » – et des forces de l’ordre à la mesure, un appel d’offre est lancé le 08 janvier 2017 par le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno LEROUX pour sélectionner les entreprises qui auront à l’avenir la gestion des voitures-radars, puis une expérimentation localisée en région Normandie, en vue d’une généralisation à l’échelle nationale dans les années à venir.

Le 20 janvier, un sondage publié par Harris Interactive révèle que 78% des automobilistes interrogés se disent fermement opposés au fait que l’utilisation des radars embarqués dans des voitures banalisées soit confiée à des entreprises privées – rémunérées par l’État pour cette mission – plutôt qu’à des gendarmes ou des policiers. Parallèlement, 80% des participants à l’étude estiment que le contrôle de la vitesse sur les routes doit rester du domaine des représentants du service public et ne peut être assuré par des sociétés privées.

Une campagne de mobilisation inédite

En conséquence, l’association « 40 millions d’automobilistes » intensifie sa campagne de mobilisation et appelle tous les Français opposés à la mesure à participer à sa première manifestation numérique. Le principe : envoyer une photo de soi ou de sa voiture par SMS sur un numéro de portable dédié ; les messages ainsi recueillis par l’association serviront à montrer aux décideurs politiques le rejet massif de la mesure lors d’une manifestation tout à fait inédite et à obliger les candidats à l’élection présidentielle à sortir de leur réserve pour se positionner sur le sujet.

Rapidement, la mobilisation obtient le soutien de 400 000 automobilistes, puis 1 million ; finalement, ce sont plus de 1,3 million de Français qui prennent part à la manifestation numérique, dont le point d’orgue est la révélation des visages des manifestants sur une grande fresque déployée le 26 octobre 2017 sur la place de la Concorde, à Paris. L’événement est retransmis en direct sur Facebook Live et immortalisé par les équipes de « Enquête exclusive » une émission diffusée sur M6.

Le bien-fondé et la légalité de la mesure remis en question lors de nombreux rebondissements

Le 29 novembre 2017, l’association « 40 millions d’automobilistes » est reçue au Sénat, dans le cadre de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2018 ; la question de la privatisation des radars est largement abordée lors de cette audition.

Par la suite, c’est la révélation le 16 mai 2018 par le journal Le Canard enchaîné de l’existence d’une note émanant du ministère de l’Intérieur et mettant en doute la légalité de l’externalisation de la gestion des voitures-radars embarquées qui fait l’effet d’une bombe : la note, rédigée par la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) le 30 mars 2017, expose que « l’externalisation [des contrôles de vitesse] devrait être prévue par la loi, celle-ci devant expressément prévoir la possibilité, pour des opérateurs privés, de procéder à ces opérations » . Autrement-dit, la privatisation des radars embarqués, soumise à une expérimentation dans l’Eure et entrée officiellement en vigueur en Normandie le 23 avril 2018, ne serait pas inscrite dans la loi française…

Cette note, ignorée à la fois par le Délégué interministériel à la Sécurité routière Emmanuel BARBE et le Président de la République, malgré l’appel de « 40 millions d’automobilistes » à arbitrer le système, est le point de départ de la nouvelle action de l’association, qui attaque la mesure en justice devant le Conseil d’État et demande l’annulation de la privatisation. Au terme d’une longue bataille juridique, le Conseil d’État tranche finalement en faveur du Gouvernement et considère comme légale cette pratique.

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Écrit par 40MA Dernière modification le mercredi 06 janvier 2021